À propos de l’objectivité de l’expert-psychologue

Tout d’abord rappelons-nous ce qu’est la fonction de la justice dans notre société. Pour ce faire, faisons appel aux symboles qui la caractérisent. La justice est symbolisée notamment par une femme qui se tient debout les yeux bandés tenant un glaive de la main droite et une balance de la main gauche. Non pas que la justice soit aveugle, mais parce qu’elle n’est pas influençable. Le symbole de la balance renvoie à l’objectif de la justice qui est d’encourager des décisions favorisant l’apaisement des conflits dans l’équilibre du pour et le contre de la preuve.

 

De cette façon, elle assure l‘impartialité nécessaire au bon fonctionnement de la justice qui ne doit pencher en faveur d’aucune des parties. Le glaive ou l’épée permet à la justice d’avoir les moyens de trancher et de faire respecter sa décision. Cette dernière constitue une forme de violence légitime assurant la défense et l’intérêt supérieur de la communauté de vivre dans un état de droits et de liberté pour tous. La justice remplaçant la loi du Talion (celui de la loi du plus fort sur le plus faible) et de la dynamique de la vengeance ayant eu court notamment durant le moyen âge, décimant des familles entières. On peut encore voir cette forme de justice primaire dans les purges de la mafia et/ou de gouvernement totalitaire.

Être objectif

Cette objectivité peut paraître simple à atteindre, mais la réalité en est tout autre. L’objectivité renvoie à l’idée de se distancier d’une compréhension d’un objet d’étude fondée sur les apparences, des illusions et des préjugés. Le psychologue expert s’assure de cette mise à distance en faisant usage de la méthode scientifique fondée sur l’observation, seule capable d’identifier les règles et les lois de fonctionnement invariables et universelles de l’objet de son étude que sont les comportements humains.

 

Concrètement, l’expert à la Cour étudie les dynamiques psychologiques d’individu et/ou de la famille entière et formule des modèles de comportement sous forme de diagnostic et de profil de fonctionnement. Ces derniers permettent de comprendre les comportements passés, actuels et futurs. Cette capacité de l’expert exige, il va sans dire, connaissance et expérience. Mais ces dernières ne suffisent pas à assurer l’objectivité de son opinion et qu’elle soit vraie. Approfondissons maintenant la notion d’objectivité.

Se remettre en question

Le psychologue expert prétend arriver à faire preuve d’objectivité en faisant usage de la méthode scientifique, mais cette méthode fait elle-même l’objet de remise en question. Même dans les sciences physiques là où la méthode scientifique a fait ses preuves de façon éclatante par les découvertes technologiques et les théories les plus brillantes qui soient telles que celle de la physique mécanique de Newton, de la relativité d’Einstein et de la mécanique quantique. Le processus de recherche scientifique lui-même se caractérise, il se remet constamment en question. Les chercheurs doivent constamment cultiver le doute afin d’arriver à une connaissance toujours plus précise, approfondie de la réalité. Il est plus juste de dire qu’au mieux nous pouvons arriver à saisir approximativement la connaissance de son objet d’étude. Cette exigence du doute est encore plus vraie dans les domaines des sciences humaines parce que la nature humaine n’est pas construite sur un modèle mathématique comme l’est l’univers physique.

 

Dans le domaine des sciences humaines, l’objet de son étude répond le mieux aux règles de la complexité (se référer aux théories de la complexité) et est plus subjectif que dans le domaine des sciences physiques. Nous ne pouvons arriver à des certitudes qu’avec une marge d’erreur. Ce doute est d’autant plus grand parce que l’objet d’étude du psychologue est un autre humain. Il ne peut pas rester indifférent à ce qu’il observe comme un ingénieur devant sa pièce de métal. Cette influence d’un humain observé sur l’observateur est au cœur même de toute intervention du psychologue tant du côté de la recherche, de la mesure des comportements de l’autre et de son intervention. Il y a même actuellement un courant de pensée important en psychologie appelée l’intersubjectivité qui soutient que toute relation ne peut s’expliquer que par la rencontre de deux subjectivités relationnelles. Cette intersubjectivité fait en sorte que nos visions de l’autre ne peut-être objective et mesurable de la même façon qu’une éclipse lunaire. Elle peut se comprendre par l’analyse de la dynamique de cette relation spécifique et cette analyse ne serait pas généralisable.

L'humain n'entre pas dans des cases

On arrive donc avec les considérations précédentes à l’idée que l’objectivité est un processus actif, variable et approximatif. On ne peut que s’y approcher. Théodore Millon (1996) le concepteur du MCMI III de l’un des tests les plus performants et utilisés en expertise psycholégale pour mesurer la personnalité d’un individu affirmait que l’on ne peut arriver qu’à des mesures approximatives. Aucune personne ne correspond aux cases diagnostiques de son test corrigé. La personnalité d’une personne est si complexe qu’elle ne se laisse saisir que par des pourcentages statistiques. Lorsque le test indique qu’un sujet souffre par exemple d’un désordre de personnalité psychopathique, ce dernier désordre peut être accompagné d’autres désordres tels que narcissique, borderline, etc.

 

Le psychologue expert ne peut donc prétendre qu’à une objectivité relative dans ses analyses et recommandations et il doit les affirmer avec prudence et retenue comme cela est dicté dans le code de déontologie de l’Ordre des Psychologues du Québec. Qui plus est, il parvient à une évaluation fiable dépendant de sa capacité à observer ce qu’il voit avec une distance affective suffisante. Cette capacité s’obtient davantage par une connaissance de soi toujours à parfaire par l’entremise d’un processus de thérapie personnelle, par des supervisions et par la qualité de sa formation théorique et pratique à propos de relations humaines. Enfin, j’ajouterais qu’il s’approche de l’objectivité surtout par sa capacité à douter de ce qu’il perçoit parce qu’il peut voir que partiellement l’ensemble de la psychodynamique de l’humain qu’il prétend étudier.

Les bons outils

Il peut se réclamer d’une certaine objectivité en s’assurant d’utiliser les bons outils de mesure que sont les tests, la bonne procédure en évaluant le plus de personnes possibles dans la famille, complétant ses observations par des informations complémentaires provenant de sources extérieures aux personnes évaluées, en étant informé le plus complètement possible des procédures judiciaires et en assurant son indépendance de pensée par l’évitement de conflits d’intérêts. En somme en diversifiant ses sources d’information, en ayant une bonne connaissance du milieu judiciaire et étant conscient des limites de ses capacités à aider la justice, permet d’assurer son impartialité dans les causes où il est impliqué. Tout comme le système judiciaire ne peut prétendre qu’à offrir une gestion de la justice s’approchant le plus des principes de la justice, le psychologue aussi ne peut s’approcher que le plus possible d’un idéal d’objectivité nécessaire pour jouer son rôle de soutien auprès du Juge.

 

Cet article aborde de nombreux thèmes qui méritent qu’on s’y attarde plus amplement. Il est donc limité, mais il a l’avantage de poser la question de l’objectivité du psychologue pour le meilleur intérêt de tous les concitoyens.

 

Je vous invite à me donner des commentaires et vos questionnements afin que je puisse approfondir encore plus la notion d’objectivité au centre du travail du psychologue. Ce n’est que cette exigence, qu’il peut contribuer modestement, mais pleinement à ce que le Tribunal puisse rendre les meilleures décisions qui soient.

 

Bibliographie

Brunet Louis, L’expertise psycholégale, 2005.
Coburn William J., Psychoanalytic Complexity, 2014.
Gould Stephen Jay, The mismeasurement of Man, 2015.
Jaenicke Chris, Change in psychoanalysis, 2011.
Millon Théodore Disorders of Personality: DSM IV and Beyond 2nd ed. 1996
Stolorow Robert, Atwood George, Faces in a Cloud, 2004.
Rawls John Théorie de la justice, 2009.
Rifkin Jeremy, Empathic civilisation, 2009.
Stolorow Robert, Atwood George, Brantchaff Bernardt, The intersubjective perspective, 2004.

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